Lundi 21 Septembre 2015 Lincoln Center -The Met Opera House. Monday September 21st 2015 Lincoln Center -The Met Opera House: “Otello” by Verdi: how jealousy and madness can devour and destroy even the greatest and purest love.
Comme toujours, une grande excitation règne sur New York pour l’ouverture de la saison— le métro comme les taxis, sont envahis par des femmes élégantissimes — surtout les plus âgées, qui non seulement compensent leur jeunesse qui s’envole, mais surtout expriment le foisonnement de leur personnalité.
Elles savent — sciemment ou non, que c’est un lieu ou l’on vient, pour voir et pour être vu. Et comme c’est l’Amérique, les codes vestimentaires sont d’une grande variété — beaucoup plus drôle que dans la vieille mais néanmoins attachante, cultivée, chic et profonde Europe.
Donc hauts en couleur — et d’une grande élégance— pour certaines d’un grand raffinement, d’autres d’une extravagance folle en termes de bibis, plumes, rivières de diamants, robes longues en soie ou dans des matières vaporeuses et féminines.
Un des maris de mes copines m’a dit “mais j’aurais du me mettre un smoking” (pas sȗre qu’il ai bien écouté sa femme qui l’avait prévenu — pas que ça arrive que les époux ne s’écoutent pas autant qu’ils le devraient— non:)— en même temps c’est pas un sujet capital –ça va il n’y a pas mort d’homme:).
Et moi ça m’amuse d’avoir une occasion de sortir le grand jeu — ma robe longue noire à la Gilda (Rita Hayworth pas Rigoletto), mes strass colorés italiens au pendentif éclatant — une fleur jaune épanouie — j’aime les fleurs :), mes plumes dans les cheveux, comme à l’époque du Great Gatsby de Fitzgerald— Il faut rigoler un peu dans la vie, chers amis :).
Et c’est pas parce qu’on est assis au poulailler, au paradis (more on that in a second), que ça nous empêche d’être glamour et “fabulous” comme ils disent ici.
J’adore la richesse d’expression en anglais— qui d’ailleurs comporte davantage de mots que le français, mais je reste néanmoins attachée pour toujours à la poésie de notre langue, bien que 6000 kms m’éloigne de ma patrie d’origine. Mais je m’égare…
Je reprends. Comme toujours, l’orchestre en préambule du spectacle, pour fêter avec ferveur et grande joie, le démarrage de la saison donc, entonne avec enthousiasme, et le public se lève comme un seul homme, la main sur le coeur, l’hymne national the “Star Spangled banner” dont les paroles non seulement me noue la gorge— plus difficile de chanter du coup— et pour les ultimes paroles— “la terre des hommes libres et le domicile des courageux” –me font toujours pleurer.
En résumé, à la suite d’une bataille périlleuse, le drapeau (américain) avec ses étoiles et ses rayures, continue de flotter librement aux premières lueurs de l’aube sur la terre des hommes libres et le domicile des courageux.
Non mais moi je sais pas pour vous — mais moi ça me bouleverse à chaque fois. C’est plus poétique je trouve que notre hymne gaulois— euh français:) magnifique aussi, mais plus sanglant (ils n’égorgent personne eux:).
Et puis tout le monde — chante à gorge déployée, avec tout leur coeur—ils aiment leurs pays—ils en sont fiers — ils ont raison– il est si beau, si vaste, si monumental dans ses paysages parfois, et attaché à de magnifiques principes démocratiques, entre autre au respect de la liberté, mais aussi et surtout à la quête du bonheur : “ the pursuit of happiness”, qui me parle bien évidemment immensément — car nous les français sommes attachés évidemment aux notions de liberté, d’égalité et de fraternité — mais la ou je les trouve vraiment fort les américains, c’est qu’ils vont plus loin, en incluant dans l’essence de leur identité, la quête du bonheur— tout un programme– mais c’est eux qui ont raison— Donc bref — je peux pas vous dire, ça créait une ambiance géniale.
Et démarrer la saison avec une oeuvre — une des plus sombres qui soit, tirée d’une des plus grandes pièces de Shakespeare, me remplit de joie, car c’est quand même un des plus grands auteurs de l’humanité, et d’ailleurs l’histoire d’Othello (avec un”h” quand il s’agit de Shakespeare) a des retentissements dans de nombreuses autres oeuvres magistrales. Mais laissez-moi d’abord vous parler de l’opéra et sa représentation ce soir là.
Otello par Verdi, un opéra en 4 actes conçu tard dans la carrière du compositeur, qui lui pris un peu de temps à composer, (il mit 8 ans a l’achever), au libretto fantastique de Boito, est tout simplement sublime.
Je vous résume l’intrigue: Verdi donc réimagine avec grande sensibilité, liée à son talent et sa grande expérience de la vie, réimagine donc l’expression tragique de la jalousie féroce, au coeur de cette histoire, qui amène Otello, un Maure (un outsider), un gouverneur et général de la flotte vénitienne, rentrant à Chypre après une victoire sur les musulmans turcs, et dont la jalousie naissante, à son retour, à l’idée d’une infidélité de sa femme, le conduit à la folie et au meurtre de sa bien aimée.
Verdi réimagine donc cette jalousie dévorante, qui se développe progressivement, qui habite Otello de façon épidermque, persuadé à tort, en écoutant son diabolique conseiller Iago, que sa femme, donc, dont il est fou amoureux, lui est infidèle.
Et le conduit donc, au fur et mesure que sa jalousie galopante s’enflamme, à sombrer dans une folie meurtrière, et à finalement donc, non seulement supprimer l’amour de sa vie, mais le conduit également au suicide, quand il découvre son erreur. C’est du lourd.
Il est évidemment impératif pour cette oeuvre dramatique et noire, que non seulement les chanteurs soient impeccables vocalement parlant, mais aussi capables d’un jeu d’acteur irréfutable, sans précédent, pour faire vibrer la salle.
Les deux personnages qui m’ont d’ailleurs le plus touché, furent Desdémone et Iago.
Desdémone interprétée pour la toute première fois par la— fantastique– Sonya Yoncheva, une jeune soprano Bulgare, avec une douceur, une chaleur, une tendresse, un amour sans bornes, incomparable, malgré la folie galopante de son époux, malgré leur amour qui se dissipe, soutenue par sa foi, est scotchante.
Elle est en particulier éblouissante lors du dernier acte, qui est le plus émouvant et d’une tristesse infinie. Ses deux airs majeurs– the “Willow song” et son “Ave Maria” sont juste sublimes sur l’infinie tristesse d’être abandonnée.
Ecoutez “the Willow song” interpretée par Renée Fleming avec beaucoup de justesse:
https://youtu.be/Iy1qcQ2KoCU
Ecoutez une version de “l’Ave Maria” interprétée par la grande Anna Netrebko, et vous verrez combien cet opéra est magnifique:
https://youtu.be/3pmLOmLLNFs
Et ça ne s’arrange pas, car après avoir prié, elle se couche dans son lit, puis se fait alors réveiller par son mari qui refuse de croire à son innocence, l’embrasse malgré sa fureur — ce qui est d’une cruauté terrible– avant de l’assassiner.
Il l’embrasse à nouveau alors qu’elle n’est déjà plus de ce monde, une dernière fois, quand il réalise la duperie dont il a été victime, et se suicide. C’est glaçant.
L’autre personnage qui m’a fait vibrer, c’est Iago, le traitre, qui par le biais d’un mouchoir volé, réussit à faire naitre en Otello des soupçons empoisonnés. Il est donc interprété avec brio, avec une énergie masculine féroce, fantastique, par le sublime baryton serbe Zejko Lucic, qui est le meilleur “Rigoletto” que je connaisse — D’ailleurs trop génial — je vais le retrouver pour Rigoletto donc, dans un peu plus d’un mois. Elle est pas belle la vie?
Otello, interprété par le ténor letton Aleksandrs Antonenko, fut vocalement impressionnant — c’est un des rôles les plus difficiles pour les ténors, très long, très riche d’expression. Mais en fait— je n’ai pas été emballée par son jeu d’acteur (d’ailleurs petit détail qui m’a fait rire, le New York Times a écrit 2 pages la veille du démarrage de l’opéra, sur leur inquiétude face au fait qu’Otello ne serait pas maquillé comme un Maure- ça aurait peut être aidé sa performance d’acteur, mais sincèrement je ne crois pas). Je reprends son jeu d’acteur ne me paru donc pas assez subtil, et du coup je n’ai pas réussi à avoir une once de compassion pour lui — En même temps c’est normal — les meurtriers font quand même froid dans le dos.
Mais c’est aussi un amoureux. Et en particulier à la fin du premier acte, qui est le seul moment ou Otello et Desdémone expriment leur immense amour l’un pour l’autre, j’avais du mal à le sentir amoureux, alors qu’elle est fantastique de douceur et tendresse, et comme on sait que ça va pas durer, ce premier acte a besoin d’être totalement enchanteur, pour qu’on puisse supporter la tristesse à venir. En tous cas pour moi:).
Car l’amour, c’est tout ce que j’aime dans la vie:). C’est qu’il y a de plus beau.
La production sinon était spectaculaire: les décors de Es Devlin (pas Roger Hart:) très modernes (d’ailleurs Es a désigné des décors pas uniquement pour le theatre ou l’opéra, mais aussi pour des stars de pop music comme pour Kanye West et son “Yeezus” world tour) et traduisaient, reflétaient bien le caractère glaçant de cette histoire, avec des panneaux en verre s’emboitant comme des legos, de manière variée, pour permettre d’enclore l’espace de façon intime ou au contraire publique, en fonction des besoins de l’histoire.
Les costumes somptueux, de Catherine Zuber (rien a voir avec Christian ou avec la manufacture de papiers peints) étaient éblouissants et solennels.
Les projections de lumière de Luke Halls — notamment pour évoquer la mer agitée, qui annonce le retour de la flotte après une tempête terrible, et la folie d’Otello à venir, très poétique.
Et enfin évidemment j’ai adoré les choeurs. Verdi compose toujours des choeurs fantastiques— en particulier lors de la première scène, ils sont incroyablement bien dirigés par Nezet Seguin — et d’une grande expressivité et nuance — solennels et émouvants tout à la fois.
Et enfin, je voulais clore mes commentaires, en évoquant rapidement un de mes films préférés de tous les temps (dont les américains disent que c’était la réponse française au film de Victor Fleming “Gone with the Wind” aka “Autant en emporte le Vent” (1939).
Il s’agit du chef d’oeuvre de Marcel Carné, “les Enfants du Paradis” (1945), dont le scénario dégouline, est infusé de références à Otello “ O perfide créature! Otello tua Desdémone pour bien moins que ça”, “ un mouchoir en dentelle sans doute”, “ à cause de toi je suis devenu jaloux, à cause de Baptiste”,“ je peux enfin jouer Otello”).
Un des personnages clefs de ce long métrage – Frederick le Maitre (Pierre Brasseur), un acteur, rêve de jouer ce rôle dans la première partie du film.
Il n’arrive qu’à la deuxième partie du film à le jouer — ayant enfin réussi à ressentir cette émotion — la jalousie– qui ne l’effleure pas au début de l’histoire, quand il rencontre pour la toute première fois, l’obscure et idéalisée Garance (Arletty), que personne ne peut posséder, et dont la poésie et le mystère fait vibrer 4 hommes à la fois: La Traviata à côté c’est de la gnognotte:).
Regardez un extrait de la rencontre de Frederick et de Garance, au démarrage de l’histoire, ou il lui explique qu’il n’est pas jaloux. Ecoutez les dialogues de Prévert qui sont juste les plus beaux de la terre. Enjoy!